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LE JUGEMENT

Je bondis sous le choc d’une question aussi imprévue.

— « Enta megnoun ». Tu es fou ! Il y a deux mois que je suis en prison et tu me demandes pour quelle raison ! Ne le sais-tu pas, toi qui a fait l’enquête, toi qui dois me juger ? On m’a dit qu’avant de mourir Soleiman m’avait accusée de l’avoir empoisonné et c’est la raison qu’on me donnait pour me garder enfermée.

Mouvement de stupeur dans l’auditoire, en entendant une femme traiter le plus saint magistrat de Djeddah de fou. Évidemment, dans un sursaut violent, le mot m’a échappé. Le cadi n’ayant pas bronché sous l’injure, le calme renaît, tandis qu’il confirme : « Mais oui, c’est juste pour cette raison que tu as été arrêtée. » J’appris par la suite que de ma seule réponse aurait pu dépendre tout le jugement. En effet, si j’avais simplement répondu :

— Pour avoir tué Soleiman.


cette phrase aurait été considérée comme un aveu et j’aurais été condamnée à mort sans autre subtilité de forme. Pareille question est classique dans tout procès arabe et la première posée à tout accusé. Souvent, paraît-il, il se trouble. Dernièrement, en Algérie, le cas s’est présenté d’un homme accusé d’avoir volé un bœuf, le juge lui demande :

— Pourquoi es-tu en prison ?

— Parce que j’ai volé un bœuf.

Voilà, il a avoué. Il est condamné.

Ensuite ce sont les éternelles questions sur Soleiman, le mariage, ses conditions, le programme complet de mon voyage, le poison et les derniers moments du malheureux.

L’avocat de la partie adverse, nommé par le gouvernement, essaye de me perdre et d’embrouiller les