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LE MARI PASSEPORT

gré toute son habileté, ne dispose que de moyens de fortune. Son thé exquis et que nous consommons en grande quantité use radicalement l’appétit. Quelques marins aimables, la dernière journée, m’apportèrent un petit pain tout chaud. Il me parut succulent.

Nous faisions nos prières en commun, sous la direction de l’Hindou, qui les disait le premier, avec un recueillement et une sainteté qui l’enlevaient du monde. Celles d’Ahmed comportaient, par contre, une incroyable fantaisie… Peu s’en fallait que les borborygmes dont il les truffait ne me fissent éclater de rire. L’équipage, surpris, venait souvent assister à ces manifestations mystiques, certains nous entouraient de respect, d’autres d’ironie.

On avait fini par savoir sur le bateau que j’étais une Française, sous mon apparence bédouine. Officiers et marins venaient, d’occasion, lier conversation avec moi. Ils le faisaient en cachette, redoutant le fanatisme musulman. Le commandant m’offrit aussi d’user de sa salle de bains. Un jour, m’y voyant aller, Soleiman émit la prétention de s’en servir. Je le remis à sa place, et lui dis tous mes regrets de n’avoir pas épousé un type simple, malin et débrouillard comme Ahmed, il en eut un violent dépit.

Le directeur des salines de Massaoua, qui était là, et avec lequel je conversais parfois en espagnol, détestait Soleiman et le tenait pour un sauvage, effrayant sous son masque doucereux. Il voulut, sachant ce que je prétendais faire en Arabie, que je lui écrive de temps en temps, pour lui prouver qu’on ne m’avait pas tuée.

— Voici mon adresse, fit-il. Si, dans quinze jours, je n’ai pas de vos nouvelles, c’est que vous aurez été assassinée.

J’avais, je ne sais pourquoi, le sentiment d’une