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LE MARI PASSEPORT

extrêmement pénible. Je lui fais comprendre qu’on aurait tout de suite saisi notre réelle situation, si nous faisions les gens du monde. J’ajoute qu’il doit renoncer à ses prétentions, car il ne saurait les tenir longtemps. Il proteste.

Nos deux compagnons de pont se nomment respectivement : Ahmed et Mohamed.

Ahmed est un petit Yéménite malicieux, d’une étonnante vitalité, qui a été marin, dit son passeport. Il a vu la Chine, Londres et New-York. Partout il a eu, affirme-t-il, le beau rôle, et il piaffe constamment. Pour un peu, il prendrait le commandement du bateau. Il ne dit jamais rien de bête, et les matelots écoutent ses conseils… sans cependant les suivre. Son langage est un charabia surprenant, mélange de mots de tous les pays où il est passé. Soleiman ne comprend rien à ses réflexions, mais l’Hindou maigre et moi le suivons tant bien que mal. Il porte un costume original. Une pièce entière d’étoffe s’enroule sur sa tête, en un volumineux turban, et un drapage savant enveloppe son buste pour retomber en plis harmonieux sur ses genoux. Sa démarche est cadencée et élégante, il porte de très larges chaussures à bouts carrés, en velours rouge, de fabrication chinoise… Ainsi retenait-il déjà notre attention lorsqu’il véhiculait avec aisance, sur l’échelle d’embarquement, des sacs de légumes, du thé, et même un demi-mouton, l’Hindou l’ayant chargé de toutes ses commissions.

Mohamed, l’impassible et le silencieux de notre équipe, murmure toute la journée des sourates du Coran. Hors ces paroles rituelles, je n’ai jamais ouï sa voix.

Ce qui emplira les heures, ce seront les conversations religieuses avec le grand Hindou qui, j’ose le dire, me convertira vraiment. J’aime d’ailleurs le