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— Maintenant, Indio bruto, ajouta-t-il, reprends ton histoire à l’endroit où tu l’as laissée. »

Le Quechua se gratta la tête d’un air embarrassé.

« Symphorose ne sait pas d’histoire, dit-il après une pause ; Symphorose est un Indien, et l’Indien ne lit pas dans les livres comme le chapeton…

— Canaille ! fit le curé, dis plutôt qu’un premier verre d’eau-de-vie ne te suffit pas et que tu en veux un second. »

Pendant que le curé s’exécutait de nouveau, j’essayai de remettre le narrateur sur la trace de ses souvenirs, en lui parlant de Tupac-Amaru, du traître Pomacagua et des Espagnols.

« L’Indien est une brute, me dit-il après avoir bu ; n’as-tu pas entendu le padre appeler Symphorose Indio bruto ! le padre a raison. L’Indien est rouge et son esprit est lourd ; l’Espagnol a la peau blanche et son esprit est subtil. J’aime les Espagnols. Padrecito de mon cœur, donne encore de l’eau-de-vie à Symphorose !… »

Je vis qu’il était inutile d’insister, et, levant la séance, je pris congé du curé, en regrettant que sa fâcheuse interruption m’eût privé d’entendre la fin de l’histoire de Tupac-Amaru. Symphorose était allé s’asseoir dans un coin, où il chantonnait à demi-voix ; en partant, je lui dis adieu, mais il ne parut pas m’entendre ; son esprit, surexcité par l’eau de feu, voyageait déjà dans les mondes sublunaires.