des montagnes, découpaient de grandes zones ternes ou lumineuses sur le paysage, la plaine et les eaux du lac, dont une partie semblait blanche et l’autre bleue. Vu de haut et de loin, ce tableau était à la fois grandiose et charmant.
« Estevan, m’écriai-je en arrêtant ma mule et montrant à mon compagnon la nappe dormante, le voilà donc cet Apurimac tant vanté des anciens et si peu connu des modernes ! — Ne fumerons-nous pas ici même une cigarette en son honneur ? »
Don Estevan, dont le visage était violacé par le froid, malgré trois ou quatre foulards dont il l’avait emmailloté, me regarda de travers en haussant les épaules.
« Taïta, tu te trompes, me dit le guide dans son harmonieux langage ; ce que tu prends pour l’Apurimac n’est encore que le lac de Vilafro, qui à huit lieues d’ici, juste dans la partie où le soleil s’est levé ce matin, reçoit le torrent Parihuana et prend le nom de rio de Chita, qu’il garde pendant quelque temps. Quand ce filet d’eau, qui s’enfuit à travers la plaine et donne au lac dont il est issu l’aspect du daridari[1] à longue queue, aura reçu neuf rivières par la gauche, onze par la droite, et arrosé vingt-
- ↑ Raie de grande taille qui habite les rivières d’au delà des Andes. Les Indiens de la sierra, qu’on envoie travailler aux plantations de cacao, de café, etc., dans les vallées chaudes, font des bourses à coca avec la peau de ce sélacien.