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ques provisions dans des ponchos, nouaient ces derniers par les coins, et les suspendaient, en manière de havresacs, au dos de leurs époux, qui les laissaient faire avec une insouciance voisine de l’abattement. Chaque recrue reçut en outre, de sa prévoyante moitié, un briquet, un morceau de silex et une corne renfermant du linge brûlé, qui devait remplacer l’amadou. À ces objets, elles ajoutèrent un petit sac de coca destiné à charmer l’ennui du voyage, et à suppléer, à la rigueur, au manque d’aliments. Ces apprêts terminés et de tendres embrassements échangés à la ronde, on laissa les élus de la mita se diriger vers le logis du gobernador, où ils arrivèrent la tête basse et le pied traînant, signe évident que l’honneur de servir un huéracocha ne compensait pas, dans leur idée, la perte de leur liberté et l’abandon de leur famille.

Bientôt les sons du fifre et du tambour donnèrent le signal du départ. Les recrues, emboîtant le pas à la file, sortirent les premiers de la place, salués par les vœux de leurs amis, les lamentations de leurs femmes, les pleurs de leurs enfants et les aboiements plaintifs de leurs chiens. Don Estevan et son aide de camp se placèrent sur leurs montures ; j’enfourchai la mienne, et, suivis des arrieros et des mules de charge, nous marchâmes au pas jusqu’aux portes de la cité, escortés par le curé, le gouverneur, l’alcade et les notabilités des deux sexes. Là,