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« Soixante piastres de flambées ! » murmura le mozo en manière d’oraison funèbre.

Nous poursuivîmes notre route. Le spectacle du pauvre animal dévoré vivant par les gallinazos avait rembruni mes idées, déjà peu riantes depuis le matin, et cette disposition d’esprit prit un caractère des plus lugubres quand, parmi des carcasses qui jalonnaient la plaine, mon guide me montra quelques croix de bois en m’apprenant qu’elles marquaient l’endroit où des voyageurs perdus dans les sables avaient trouvé la mort près de leurs montures. Comme pareil accident pouvait m’arriver un jour ou l’autre, je priai le mozo, en m’expliquant la chose, de ne pas m’épargner les conseils de son expérience, afin qu’à l’occasion je pusse les utiliser : l’idée d’être déchiqueté par les gallinazos en compagnie d’une mule, même quand une croix de bois devrait s’élever sur nos restes, ne me souriant nullement.

« Sachez donc, me dit l’homme, que si le désert est fatal aux bêtes de somme que la soif et l’accablement surprennent dans sa traversée, il ne l’est pas moins aux gens de notre condition, que de fréquents voyages accomplis en commun n’ont pas assez familiarisés avec ses brouillards, ses sables mouvants, ses camanchacas et ses mirages, pour que l’un d’eux puisse sans péril se hasarder à le traverser seul. Ces croix que vous voyez en sont la preuve. Ici