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moment endormi, se remit à souffler par brusques rafales. Les nuages s’amoncelèrent plus sombres, plus bas, plus pressés ; leur teinte noirâtre passa successivement au brun rouge et au jaune livide, et de longs éclairs en jaillirent, pareils à des serpents de feu. Un second coup de tonnerre, qui ébranla l’espace et fut répété par toutes les cavités de la Cordillère, donna le signal de la tourmente, qui s’abattit sur nous avec l’impétuosité d’un torrent qui rompt ses digues. Durant quelques minutes, une trombe de feu, de vent et de grêle nous enveloppa des pieds à la tête, nous permettant à peine de respirer. Aveuglés, ahuris, le nez enfoui dans nos ponchos, le corps ramassé sur nos selles, hors d’état d’avancer, nous lâchâmes la bride à nos mules. Les pauvres animaux, livrés à leur instinct, firent brusquement volte-face pour garantir leurs yeux et leurs naseaux du choc des grêlons qui recouvraient déjà le sol d’une couche épaisse.

Un peu remis de la terrible secousse que j’avais éprouvée, j’écartais les plis du tapacara, dans lequel j’étouffais, pour voir ce qui se passait autour de moi. L’orage, loin de se calmer, semblait au contraire redoubler de furie ; les nuages crevaient sans interruption, les éclairs se croisaient comme les fusées d’un feu d’artifice, et les coups de tonnerre, indéfiniment répétés par les échos des montagnes, ressemblaient, à s’y méprendre, à de grosses dé-