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à lire et à écrire, avantages que j’ai su conquérir plus tard par moi-même, ils résolurent de me garder auprès d’eux. Jusqu’à quinze ans, je vécus sous leur toit, partageant leur maigre chère et leurs travaux, récoltant, selon l’ordre des saisons, la luzerne ou le bombonaza[1], liant des bottes de fourrage ou préparant la paille des chapeaux. Une petite-vérole, qui exerça de grands ravages dans le pays, emporta mon père et ma mère, et comme la ferme qu’ils cultivaient appartenait à un de nos voisins, qui la leur louait à l’année, ce dernier la reprit immédiatement, sous le frivole prétexte que ma jeunesse et mon inexpérience n’offraient pas de garanties suffisantes pour le payement d’un loyer. Un beau matin, je me trouvai dans la rue. Après un instant de réflexion, je me décidai à partir pour Chachapoyas et à me présenter devant l’évêque pour lui exposer ma situation. Le saint homme me reçut avec bonté, s’apitoya sur ma misère, et me fit admettre le même jour, en qualité de mozo-sirviente, à l’hôpital de los Desemparados. Pendant le premier mois, tout alla pour le mieux ; le plaisir de manger de la viande fraîche et de boire du vin, luxe alimentaire qui m’était inconnu, l’emporta sur la répugnance que me causait la nature du labeur auquel j’étais soumis, et qui consistait à coudre les morts dans un lam-

  1. Cyperus bonbonaza.