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a de grands promontoires ou caps sur cette mer depuis Kersona jusqu’aux embouchures du Tanaïs, et environ quarante châteaux entre Kersona et Soldaïa, dont chacun a sa langue particulière ; il y a aussi plusieurs Goths, qui retiennent encore la langue allemande. Ayant passé les montagnes vers le nord, on trouve une belle forêt en une plaine remplie de fontaines et de ruisseaux ; après quoi se voit une campagne de quelque cinq journées, jusqu’à bout de cette province, qui s’étrécit vers le nord, ayant la mer à l’orient et l’occident, qui est comme une grande fosse ou canal d’une mer à l’autre.

Cette campagne était habitée par les Comans, avant la venue des Tartares ; et ils contraignaient toutes les villes susdites, châteaux et villages de leur payer tribut ; mais quand les Tartares y arrivèrent, une si grande multitude de ces Comans s’épandit par le pays en fuyant vers le rivage de la mer, qu’ils se mangeaient par grande nécessité les uns les autres presque tous en vie, ainsi qu’un marchand qui l’avait vu me l’a conté : ils déchiraient à belles dents et dévoraient la chair des corps morts, ainsi que les chiens font les charognes.

Aux extrémités de ce pays, il y a de fort grands lacs, sur le bord desquels se trouvent plusieurs sources d’eaux salées : sitôt que la mer est entrée dedans, elle se congèle en un sel dur comme la glace. De ces salines Baatu et Sartach tirent de grands revenus : car de tous les endroits de la Russie on y vient pour avoir du sel, et pour chaque charretée on donne deux pièces de toile de coton. Par mer il vient aussi plusieurs navires pour charger de ce sel, et on paye selon la quantité qu’on en prend.

Après être partis de Soldaïa, au troisième jour nous trouvâmes les Tartares ; et quand je les eus vus et considérés, il me sembla que j’entrais en un nouveau monde. Mais avant que de poursuivre mon voyage, je représenterai à Votre Majesté la façon de vie et mœurs de ces gens-là le mieux qu’il me sera possible.