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LES ÉMANCIPÉES

naissance amenée là par le hasard. L’accomplissement de cette formalité a le don de soulager la plupart des papas et des mamans qui s’en retournent ensuite le cœur léger avec la conviction qu’ils ont fait le nécessaire.

D’abord, pour les accidents d’un ordre matériel, dans le cas d’un naufrage par exemple, je me figure que cette tutelle honoraire du commandant ne serait pas d’un bien grand secours à sa protégée, — le devoir dans cette extrémité, lui imposant des obligations plus impérieuses que de veiller exclusivement au sauvetage particulier d’une passagère.

Quant aux éventualités d’une autre nature et pour le moins aussi sérieuses, sa protection est tout aussi inefficace. Il est des circonstances que la sagacité d’un vieux loup de mer est impuissante à prévoir et certains dangers moraux qu’une simple connaissance se voit dans l’impossibilité de pouvoir empêcher ou prévenir.

Quel autre qu’un ami intime en effet, osera mettre la naïve fillette en garde contre la complaisance obstinée de tel jeune et séduisant compagnon de voyage ? Quel étranger pourra se croire en droit de l’avertir de se méfier de tel vénérable monsieur aux façons paternelles ou même de cette dame aimable et pleine de prévenances qui vous cause, vous offre des livres, vous fait parler ?

Et même, une fois arrivée au terme du voyage, une fois rendue sous le toit des amis de ses parents ou chez quelque camarade de couvent dont la famille peut-être lui est inconnue, qui donc protégera la jeune visiteuse contre tout ce qui, dans le monde, menace l’innocence. Que d’inconvenances flagrantes, que de fautes involontaires commettra cette douce irresponsable avant qu’on se résigne à lui faire la moindre observation. Devant son insondable candeur, les plus sages mêmes et les plus charitables hésiteront, jugeant que la tâche délicate de porter le soupçon dans cette âme pure appartient à d’autres.