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NOS TRAVERS

— « Les peuples ne sont pas faits pour les princes, » avait-il répondu à un ambassadeur qui, croyant lui être agréable, se lamentait pour son compte sur la réunion du grand duché de Toscane dont il eut pu être souverain, à l’Italie.

Les Toscans, qui sont Italiens, avaient eu raison, selon ce prince philosophe, de se rallier à leurs compatriotes.

Sur l’énoncé de cette opinion scandaleuse, la cour l’avait forcé d’aller prendre l’air pendant quelques mois à l’étranger, ce qui n’avait pu changer ses sentiments.

Les voyages avaient au contraire tellement accru son goût pour la liberté… des autres — chose rare chez les princes les plus révolutionnaires, — qu’à son retour il remit entre les mains de Sa Majesté ses titres et toute la bimbelotterie nobiliaire trop encombrants pour ses desseins nouveaux, pour la vie « d’homme utile » qu’il ambitionnait de commencer.

Par une coïncidence assez singulière, un autre prince, celui que Saint-Simon, son contemporain, appelait l’incomparable dauphin, l’élève de Fénelon, le duc de Bourgogne, enfin avait lui aussi exprimé une opinion identique et presque dans les mêmes termes :

« Les rois, disait-il, sont faits pour l’État et non l’État pour les rois. »

Ce dauphin trop sage pour son temps admettrait-il aujourd’hui les revendications quand même d’une dynastie qui perdit la France par sa faute et dont les descendants de plus en plus corrompus ont puissamment aidé la Révolution.

Et trouverait-il dans les rejetons de la même famille, chez ces fils de libres-penseurs, des garanties suffisantes d’une conduite meilleure et d’un relèvement moral de la monarchie.

Abstraction faite du sentiment de ses droits, que pen-