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NOS TRAVERS

que l’appétit d’un estomac robuste. Se disposer, au contraire, à faire plier son inclination aux exigences de la bienséance, rechercher les occasions d’être utile à ses hôtes et agréable à tous, c’est l’A B C de cette civilité indispensable, qui, selon l’expression de La Rochefoucauld, « commence et forme les premiers nœuds de la société. »

L’absence de ces conditions essentielles au caractère d’un gentilhomme, et l’égoïsme débridé qui les remplace, nous fournissent l’espèce de ces rustres qui, en entrant dans un salon, saluent froidement par acquit de conscience les maîtres de la maison, passent devant toute une rangée de dames assises, sans s’incliner, sans même songer à regarder s’il n’y a pas quelques-unes parmi elles, dont ils burent le vin et usèrent les tapis la veille — à qui, par conséquent, la simple courtoisie commande de présenter leurs respects. Ah ! bien oui, leurs respects ! Se douteraient-ils qu’une telle obligation existe, qu’ils ne sauraient jamais s’en tirer. Les compliments usuels, les formules banales de politesse, que dans tout pays civilisé les hommes savent adresser aux femmes suivant leur âge ou condition, sont de l’hébreu pour nos jeunes mondains. Leur formule à eux ne varie pas. Aux femmes âgées comme aux jeunes ils ne manquent jamais de commencer par secouer la main, ce qui les dispense de courber l’échine. Bonjour, madame ! Après cela leur vocabulaire est tari. Ignorant ce qu’il faut dire, ils se mettent alors à vous bombarder de questions pour ne pas rester coi : Qu’avez-vous fait l’été dernier ? Allez-vous au théâtre ? Étiez-vous chez Mme X… ? Et ils s’empêtrent, articulent d’un air à la fois distrait et embarrassé des Certainement ! Oh non ! Oh oui ! et ne savent plus comment se dégager.

Ils n’ont pas au salon cette aisance, cette souplesse de bon aloi qui permet à un jeune garçon de s’incliner devant une dame, d’échanger avec elle quelques paroles