Page:Marchand - Nos travers, 1901.djvu/143

Cette page a été validée par deux contributeurs.
147
LA FEMME DANS LA FAMILLE

gens sans fortune mais appartenant à une certaine classe de la bourgeoisie auront l’ambition de voir leurs fils devenir avocats, médecins ou notaires.

Pour arriver à un but dont les exigences sont disproportionnées à leurs faibles ressources, les pères et les mères s’entendront pour s’imposer à eux-mêmes d’abord des privations, et en second lieu pour sacrifier actuellement les filles à l’avenir problématique de leurs frères. On les retirera plus tôt du couvent pour les faire concourir à l’œuvre d’économie et les astreindre à un travail souvent préjudiciable à la santé ; on les vêtira chétivement ; et on les privera de tout plaisir, afin de pouvoir suffire aux frais d’éducation des autres.

Et, cependant, les garçons prennent l’habitude de manger avec insouciance le pain si chèrement acheté, et d’accepter sans vergogne, très souvent sans la moindre gratitude, une si complète abnégation. Bienheureux encore sont les parents quand les enfants favorisés aux dépens des autres savent profiter des avantages reçus et récompenser leurs familles par le succès.

Eh bien, je soutiens qu’un pareil système, sauf les cas de talents exceptionnels ou d’une volonté, d’une application énergique et persistante, constitue une injustice flagrante qui tire son origine de l’orgueil plus que du dévouement paternel et du sentiment du devoir.

Quand dans les familles pauvres l’élévation des uns exige l’écrasement des autres ; quand au surplus on ne trouve pas dans les aptitudes extraordinaires d’un sujet une excuse aux passe-droits qu’on fait en sa faveur, pourquoi ne pas laisser les fils suivre tout bonnement la carrière de leurs pères, et devenir de bons artisans plutôt que des déclassés ?

Pourquoi ne pas laisser plus de bras et plus d’intelligences à l’agriculture, la plus belle des vocations humaines, la seule que le Bon Dieu nous ait recommandée dans la personne de notre premier père après son mémorable revers de fortune au Paradis Terrestre ?