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NOS TRAVERS

tôt mourir. « Mon existence s’est usée, disait-elle, à soutenir et à aiguillonner le courage toujours défaillant d’un hypocondriaque qui était le père de mes enfants, et à épargner à ceux-ci les effets de son humeur atrabilaire ; à chercher enfin, seule, et contre tous, à maintenir dans la maison une atmosphère de calme, sinon de gaieté. J’ai été constamment comme un tampon entre la violence de mon mari et les révoltes de mes enfants, recevant, pour l’amortir, le choc des deux côtés. Je ne regrette rien, ajoutait-elle, car je prévois que mes petits sacrifices porteront leur fruit. »

Le souvenir de cette femme en effet est vénéré par ceux qui lui survivent, et son exemple héroïque reste pour eux un enseignement toujours vivant.

Après avoir pacifié, il reste donc encore à la bonne mère de famille à égayer son intérieur, de manière à y retenir autour d’elle tout son monde — père et enfants. Les plus fières tiennent à honneur de ne point voir grossi par les leurs le nombre des abonnés des Cercles.

Toute leur autorité, jointe à celle du chef de la famille, doit tendre à soustraire leurs fils au fléau social que constituent ces associations ruineuses pour le bien matériel et moral des familles — les clubs.

Car, qu’on me le laisse dire en passant, en dépit de toutes les raisons spécieuses qu’on entasse pour expliquer ou excuser ces Édens masculins, il n’y a qu’une circonstance qui puisse absoudre un homme d’aller au club, c’est qu’il ait une femme vraiment… mais là, vraiment insupportable. D’aucuns disent qu’il y en a. Certains maris sans âme ont bientôt fait de se décerner — en considération des bénéfices — ce certificat commode. Ils appelleront ainsi une femme insupportable celle qui est justement indignée de leur inconduite ; celle dont la santé est mauvaise et, à cause de cela, l’humour un peu mélancolique, etc. Avec un égoïsme inqualifiable, ils fuient la pauvreté, la tristesse de leur