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FIANCÉS

tés d’être sévères. La jeune fille trop précoce, qui affiche avec un petit prétendant sans moustache des manières de fiancée et se pavane gravement dans les rues à toute heure du jour en compagnie d’un échappé de l’université est assez rudement rabrouée et reçoit l’ordre de cesser ce manège ridicule. Mais comme en général, on est peu pratique, et qu’on ne se préoccupe pas d’écarter radicalement les occasions que ces enfants ont de se rencontrer ; comme on continue de laisser l’écolière aller seule à ses cours quand on doit supposer qu’elle ne manquera pas de trouver sur son chemin le jeune soupirant embusqué, les choses ne sont pas changées.

Neuf fois sur dix la ténacité et l’insubordination des enfants ont raison de la fermeté paternelle.

Devant leur entêtement suscité par la contradiction et affectant les dehors d’un attachement durable, l’autorité finit par s’incliner avec une sorte de respect, comme si le doigt de l’amour eut marqué les rebelles d’un sceau sacré.

Il est certain que la cour assidue qu’un audacieux imberbe peut faire à la moindre petite bouture de femme a pour effet de conférer à celle-ci une émancipation prématurée telle que celle octroyée par le mariage qui rend à la jeune épouse l’usage de ses droits avec la liberté de ses actes.

Or, comme je vous le disais, ceux qui ont pour mission de la guider et d’assurer son bonheur, en dépit d’elle-même s’il le faut, en arrivent trop aisément à la formalité du lavement des mains.

— J’ai bien essayé, vous diront-ils, de lui faire entendre raison, mais rien n’y a fait, ni les prières, ni les défenses, ni les menaces. — Que voulez-vous, « ils s’aiment ! » invoqueront encore certaines mamans romanesques.

Après cela, on se résigne à tout, et on attend tranquillement le désastre prévu : un mariage absurde.