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L’ÉCONOMIE POLITIQUE.

pas ; ou qui userait d’épargne, lorsque tous les trésors de la nature seraient ouverts devant lui ? On verrait un singulier mélange d’abondance, de pillage, et de famine.

Dans ce pays-ci, par exemple, où la seule propriété commune consiste en noisettes et en mûres sauvages, combien il est rare qu’on les laisse arriver à terme ! Dans quelques parties de l’Espagne, où la beauté du climat produit une quantité de très-bons fruits sauvages, il est d’usage que les prêtres les bénissent avant qu’il soit permis à qui que ce soit de les cueillir, et ils ne font cette cérémonie qu’à l’époque où l’on estime qu’en général les fruits sont mûrs ; par ce moyen on empêche qu’ils ne soient cueillis trop tôt. C’est dans le même but que nos lois prohibent la chasse, jusqu’au moment où les oiseaux ont pris leur croissance.

CAROLINE.

Mais quoique les habitants de la Bétique eussent tous leurs biens en commun, ils n’étaient pas sans lois pour les protéger.

MADAME B.

La terre n’est pas un paradis, et ne donne pas spontanément ses produits avec abondance. Si elle était possédée en commun, qui se mettrait à cultiver tel ou tel morceau de terre ? Il faudrait que le gouvernement assignât à chaque homme sa tâche journalière ; qu’il dit à l’un, vous travaillerez ici ; à un autre, vous travaillerez là. Y mettraient-ils la même activité et le même zèle, que s’ils travaillaient pour leur propre compte, c’est-à-dire s’ils recevaient des salaires proportionnés à leurs efforts ? Non certainement. Un tel système transformerait les hommes indépendants en esclaves, en véritables machines. Il n’y aurait point, il est vrai, d’inégalité dans les conditions ; mais la terre ne donnerait pas la dixième partie de son produit actuel ; la population diminuerait en proportion ; et si tous échappaient à la détresse et à la pauvreté, aucun ne jouirait de l’acquisition des richesses ; cette jouissance cependant, lorsqu’elle est le fruit du travail et du talent, est un sentiment juste et vertueux ; il élève l’homme non-seulement par la richesse même, mais par le pouvoir qu’elle lui donne de faire du bien, d’étendre la sphère des connaissances humaines, et par tous les inestimables biens qui en sont la suite.

Il a cependant réellement existé quelques établissements fondés