Page:Marcet - L’économie politique en vingt-deux conversations, 1837.pdf/38

Cette page a été validée par deux contributeurs.
26
L’ÉCONOMIE POLITIQUE.

le développement de l’industrie humaine comme s’opérant par degrés successifs et presque insensibles.

Les nations civilisées ne commencent pas toujours par l’établissement d’une colonie ; souvent elles sont sorties de l’état sauvage, après avoir été dans cet état pendant une suite de siècles. Telle était la situation de plusieurs nations indigènes de l’Amérique à l’époque de sa découverte. C’étaient des peuples chasseurs ; or, tant que les hommes voient devant eux un espace illimité, où ils peuvent errer à leur gré sans obstacle, il est difficile d’imaginer des circonstances qui puissent les engager à adopter une vie sédentaire, et à s’appliquer au labourage.

Dans les pays qui abondent en vastes plaines, la vie pastorale a été préférée ; mais il a fallu pour cela que la propriété des troupeaux fût établie, quoique la terre restât en commun. Tel était le genre de vie des anciens Scythes, qui habitaient les vastes plaines de la Tartarie ; tel est encore de nos jours celui des Tartares et des Arabes, qui forment des tribus errantes, et, comme les anciens patriarches, vivent sous des tentes, et voyagent de côté et d’autre avec leur gros et menu bétail, cherchant les meilleurs pâturages.

Nous avons déjà remarqué que les hommes, par leur nature, sont disposés à la paresse ; cette disposition est nécessairement un grand obstacle à l’introduction de l’agriculture, car cet art exige beaucoup de prévoyance et de connaissances ; ainsi qu’une ferme confiance en la sûreté de la propriété, afin que l’on s’adonne au travail dans une saison, en vue de faire la récolte dans une autre. Mais on peut supposer que l’agriculture est un pas progressif fait à la suite de la vie pastorale ; qu’une tribu de bergers peut avoir rencontré des ennemis dans ses excursions errantes, et que la crainte de perdre ses troupeaux peut les avoir engagés à se fixer ; il est probable en ce cas, qu’elle aura choisi un lieu défendu par la nature contre les attaques des bêtes sauvages et contre les incursions de leurs féroces voisins. C’est ainsi que Cécrops fit choix du rocher où fut fondée la citadelle d’Athènes, pour y bâtir une ville. Il se pourrait aussi que ces nomades eussent été tentés par la fertilité de quelque coin de terre, où ils auraient joui de la protection d’un gouvernement voisin en état de les défendre. Volney dit en parlant des habitants de la Syrie : « Toutes les fois que les hordes et les tribus errantes trouvent dans un canton la paix et la sécurité