Page:Marcet - L’économie politique en vingt-deux conversations, 1837.pdf/352

Cette page a été validée par deux contributeurs.
340
CONTES POPULAIRES

souviens d’un temps où je gagnais trente francs par semaine ; mais la machine fait autant d’ouvrage pour la valeur de cinq à six francs, et c’est maintenant le prix que l’on m’offre de mon travail.

— Il est assez naturel, dit Hopkins, que des fabricants fassent travailler à des prix modiques lorsqu’ils le peuvent, c’est dans leur intérêt. »

Cette réponse n’avait rien de consolant pour Jackson ; Hopkins s’en aperçut et lui conseilla de laisser là le métier et la navette, et d’essayer d’un autre état ; mais cette proposition ne parut pas lui être agréable : « Alors, reprit Hopkins, vous ferez bien peut-être d’émigrer, d’autant plus que vous n’avez ni femme ni enfants à emmener avec vous.

— Quoique je n’aie ni femme ni enfants, j’aurais préféré n’être point obligé de quitter mon pays et mes amis ; mais lorsqu’on a été ouvrier en soie toute sa vie, il n’est pas si aisé de changer d’état tout à coup ; d’autant plus qu’à présent un homme n’est pas plus tôt établi à ses affaires, que voici quelque nouvelle machine qui vient lui ôter son gagne-pain. C’est mon tour, voisin Hopkins, mais le vôtre pourra venir, car il n’est pas impossible que l’on invente une machine à labourer la terre.

— Quant à cela, répliqua Hopkins, c’est déjà fait : la charrue n’est-elle pas une machine ?

— J’ai ouï dire, reprit Jackson, qu’autrefois on labourait avec une bêche ; l’ouvrage ne manquait pas dans ce temps-là, car il fallait bien des hommes seulement pour labourer un champ.

— Mais le blé devait être fort rare ; car vous comprenez, Jackson, que leur travail, quelque rude qu’il fût, ne produisait pas la moitié de ce que produit la même quantité de travail exécuté avec la charrue, et vous conviendrez qu’on ne peut acheter plus de blé qu’il n’y en a à vendre.

— Oh ! je ne puis le nier, c’est clair comme deux et deux font quatre.

— Il y avait donc fort peu de blé et il était cher ; les gens riches l’achetaient, et les pauvres, comme vous et moi, n’avaient pas souvent un morceau de pain à manger. Si vous voulez qu’on se passe de toute espèce de machines, il faut briser les bêches aussi bien que les charrues, car l’une et l’autre sont des machines, et pour y suppléer nous pourrions gratter la terre avec nos ongles comme des