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CONTES POPULAIRES

serva John, si cela ne nous mène à rien ? Nous ne travaillons pas pour le seul plaisir de travailler, maître Stubbs, mais pour le pain que cela nous rapporte ; et si la paroisse nous entretient, pourquoi nous fatiguerions-nous ? Quant à mettre de côté mille à douze cents francs, comme vous dites qu’on le faisait autrefois, ce serait impossible à présent, même si on ne se mariait pas : avec de si petits gains il est difficile de faire des économies.

— Lorsque les salaires étaient les mêmes pour tous, reprit le fermier, il me semble que les garçons ne devaient pas dépenser tout ce qu’ils gagnaient, et je crois que cela valait beaucoup mieux ; car, au lieu de les engager à se marier de bonne heure, on les obligeait ainsi à attendre d’avoir assez pour entretenir une femme et des enfants. Tandis qu’au contraire les règlements de ces magistrats, que madame Hopkins trouve si humains, encourageaient la paresse autant que les mariages précoces et les familles nombreuses. Mon oncle prétend que de nos jours les ouvriers laboureurs sont une race d’hommes tout-à-fait différents de ce qu’ils étaient autrefois ; leur caractère semble avoir entièrement changé. Ce n’est pas à dire qu’il n’y ait encore parmi eux de très-honnêtes gens ; mais la généralité ne vaut pas grand’chose. Il y en eut un si impudent qu’il poussa l’insolence jusqu’à dire au fermier pour lequel il travaillait : « Si vous n’augmentez pas mon salaire, je me marie demain, et alors vous serez bien forcé de me payer davantage ; » car ce drôle-là était assez intelligent pour comprendre que, quoique la taxe leur soit payée par les employés du gouvernement, elle sort en partie de la poche des fermiers.

— Mais si la paroisse les entretient, dit John, elle doit aussi les faire travailler.

— Cela se fait bien ainsi autant que possible ; on les envoie dans les fermes, et ceux qui les emploient remettent le prix de leur travail à la paroisse : ce prix est très-modique, il ne suffirait pas à leur entretien.

— Alors je pense, reprit John, que les fermiers renvoient leurs ouvriers à gages fixes, pour prendre ces vagabonds qu’ils paient beaucoup moins.

— Ils n’y trouveraient aucun profit, vu qu’ils ne font pas la moitié autant d’ouvrage que les ouvriers ordinaires. Pourquoi en feraient-ils davantage ? Qu’ils travaillent peu ou beaucoup, ils gagnent tou-