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SUR L’ÉCONOMIE POLITIQUE

de travailler, on les emploie. Aussi j’ai ouï dire qu’une veuve chargée de famille est regardée là comme un morceau friand ; lorsqu’elle veut un second mari elle n’a qu’à choisir.

— Alors on peut se marier de bonne heure.

— Sans doute, le plus tôt est le mieux ; le pays fourmille de jeunes enfants frais et bien portants.

— Tout cela est bel et bon, reprit madame Hopkins ; mais néanmoins il doit être dur de quitter sa patrie, les lieux qui nous ont vus naître, où nous avons été élevés : ce n’est ni plus ni moins que si l’on quittait son père et sa mère ; avec cela, s’il va tant de pauvres en Amérique, la place sera bientôt remplie, et alors on n’y sera pas mieux qu’ici.

— Dieu merci, il n’est pas si aisé de peupler l’Amérique. Le contremaître d’un vaisseau qui part de Liverpool pour les Indes m’a beaucoup parlé de ce qu’ils appellent l’émigration.

— L’émigration ? répéta madame Hopkins, ce mot sonne mal à mon oreille, il me fait penser à la déportation des criminels dans le Nouveau-Monde.

— Ce sont deux choses bien différentes.

— Eh bien, John, fais-moi le plaisir de me dire tout ce que tu sais sur ce sujet. »

Son mari l’assura qu’elle n’y comprendrait rien ; mais comme il était bon, et qu’il accédait aux désirs de sa femme toutes les fois qu’elle n’était pas trop déraisonnable, il se mit à lui expliquer que l’Amérique était un pays si vaste qu’il faudrait plus de mille ans pour le peupler.

« Presque tous ceux qui s’y rendent, ajouta-t-il, reçoivent un morceau de terrain et une ferme qui leur appartient entièrement.

— Une ferme ! s’écria madame Hopkins ; moi qui serais si heureuse si je possédais un peu de terrain à côté de ma chaumière. »

John commença à craindre qu’il ne lui prît fantaisie d’aller en Amérique.

« Tout n’est pas si beau que tu l’imagines, reprit-il. D’abord il faut traverser la mer, et quelquefois on y est très-malade ; puis, arrivé en Amérique, il faut choisir son terrain, et il n’y a là ni ferme, ni granges, ni magasins de grains, ni prés, ni champs prêts à être labourés ; il n’y a que d’immenses forêts.

— N’y a-t-il pas des bêtes féroces dans les forêts ? »