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vous courait sur la figure. Et puis, un soir, en rentrant dans la ville, elle avait rencontré Roudia au coin d’une galerie du foro. Sa figure lui avait plu tout de suite. Le vice de l’union proposée attira Roudia. Elle fut l’homme et Djounia la femme. Roudia avait l’argent. Djounia lui faisait des cadeaux. Elle l’adorait. Elle lui donnait tout, — ses bijoux, ses beaux vêtements neufs — elle l’embrassait nerveusement. Dès qu’elle était sortie, elle tremblait. Il y avait tant de délateurs dans les rues ! Et peu à peu elle sentait sourdre en elle une grande haine de l’homme. Ce qu’elle avait fait par plaisir au commencement lui paraissait un travail insupportable. Tout ce qu’elle aimait c’était sa Roudia chérie. Pour elle, elle gagnait de l’argent — pour lui acheter des robes, pour pouvoir lui donner des colliers, des bagues, des bracelets.

Roudia était brune, — Djounia blonde et mince. Roudia n’était pas méchante, — mais brusque. Parfois elle faisait des scènes abominables, déchirant les vêtements, brisant les meubles, fracassant la vaisselle. Mais elle avait bon cœur, donnant elle aussi tout ce qu’elle avait, ne pouvant voir un mendiant devant la porte sans lui jeter une poignée d’as — les larmes dans les yeux au récit d’une injustice ou d’une cruauté. Elle était vive et colère — battant souvent Djounia dans ses bouffées de folie qui la saisissaient parfois. Et alors c’était un torrent d’injures : “Fille de chien, loupa defoutouta, vieille charogne — que la malédiction de ta mère retombe sur toi !”

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“Chut ! Poupoula, chut ! Il ne faut pas parler ainsi. El l’a défendu. Sais-tu comment nous vivons, nous ?