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Narcisse (3)

Il faut vous dire que dans ma jeunesse, j’étais sujet à des passions brusques, d’une violence parfois regrettable, mais qui disparaissaient heureusement avec la même vitesse. J’avais beaucoup lu Apulée, Pétrone, Catulle et Longus et Anacréon ; toutes les femmes me semblaient des fleurs et je croyais être leur papillon. Mon plaisir était de suivre les élégantes dans la rue et de me bâtir un roman sur leur tournure, vue de dos. Je n’osais pas me risquer à voir la figure, de peur d’un désappointement. Je faisais beaucoup le matamore, et quoique d’un embonpoint relatif, j’affectionnais les poses poétiques. Je ne faisais pas de vers, mais j’aurais pu en faire. Ô outrecuidance de mon jeune âge ! Je me laissais pousser les cheveux ; je critiquais Hugo après l’avoir porté au ciel — j’étais un jeune Zoïle, un Alceste mal élevé — et, parole d’honneur ! — je me croyais