Avons-nous eu raison, avons-nous eu tort d’ouvrir les cahiers d’un adolescent entre sa quatorzième et sa vingt-deuxième année, de faire des extraits de ses rêveries, de ses travaux, de ses vers et de sa prose, de parcourir les cinq volumes que Marcel Schwob conserva des essais de sa jeunesse ? Aucune des objections qui se sont élevées dans notre esprit n’a été capable de nous arrêter dans l’entreprise dont nous donnons aujourd’hui les résultats.
Certes, le temps de l’adolescence est unique ; c’est l’âme en fleur. Aucune époque n’est plus riche dans la vie, et le malheur, c’est que nous ne savons pas réaliser cette richesse, que nous sommes, la plupart du temps, incapables de tenir nos propres promesses.
Chez Marcel Schwob il y a d’ailleurs un cas de précocité unique. À trois ans on s’aperçut qu’il savait lire en français, en anglais, en allemand. On avait dû sans doute lui montrer les alphabets : mais il avait appris tout seul. Petit événement que son père mentionne dans la feuille de recensement. Vers six ou sept ans, le petit Marcel communique en grand mystère à sa sœur un petit cahier cartonné vert. Il porte un beau titre : Journal critique et littéraire. Il contient les mémoires d’un petit chien chinois, leur ami : “On m’appelle Jack, un nom anglais, et cependant je suis chinois”.
Dans le beau jardin de Tours, il y a un pin. Marcel et sa sœur y ont, sur les hautes branches, une cachette, une table faite d’une planche, un toit formé d’un vieux parapluie. Là Marcel se réfugie pour lire, pour parler anglais, rêver, tandis que le vieux père Grimm, le précepteur allemand, cherche les fugitifs et arpente, de ses longues jambes, le jardin. Marcel monte les comédies d’Aristophane.
Si son œuvre s’est acheminée, de bonne heure, vers la perfection, les lecteurs jugeront si elle a tenu tout ce que contenaient les promesses de son enfance. L’adolescent va vers les cimes, vers les grands sujets de la pensée et de l’art ; l’artiste achevé que sera par la suite Marcel Schwob ira plutôt vers les curiosités, les spécialités.