sa race, son instinct prophétique, son sentiment de la vocifération ; c’est un fait qu’il parlait d’une voix sourde, où l’on pouvait reconnaître comme l’écho de beaucoup de voix du passé. De là peut-être cette facilité avec laquelle il remontait le cours des âges, se retrouvait de plain-pied avec tant de civilisations. Mais il n’a jamais écrit qu’une aventure, Marcel Schwob l’aventureux, ce fut celle de son esprit.
Prodigue, généreux, son désintéressement était infini et n’avait d’égal que sa probité littéraire. Il n’était pas plus riche au jour de sa mort qu’il ne l’était à vingt ans. Son seul luxe fut l’achat de livres précieux qu’il aimait, et qu’il acheta d’ailleurs à des prix qui paraîtraient aujourd’hui bien surprenants, chez les libraires, ses amis, chez Claudin, chez Rahir, chez Gougy, chez Belin, chez mon père. Ses propres livres ne lui avaient jamais rien rapporté. Il était fier d’une notoriété qui ne s’affirma par aucun succès de tirage ; il laissait entendre qu’il était demeuré comme les écrivains d’autrefois, au temps où l’on produisait des œuvres manuscrites. Car ses livres avaient des amis sincères qui se les passaient, comme jadis on se communiquait les manuscrits.
Celui qui fut, dans toute la force du mot, un maître, un maître de la pensée et de l’érudition, aimait à admirer. On a vu quel disciple il demeura d’Émile Boutroux. Ses admirations se traduisaient par une faculté d’enthousiasme qui était sa forme de critique, et passait souvent toute mesure. Alors on l’arrêtait, et il s’arrêtait de lui-même. Mais cette chaleur du cœur était belle. Oscar Wilde mis sur le plan de Shakespeare n’était que le paradoxe d’un soir.