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jours. Tu ne te fatigueras pas avec moi. Avoue que je te donne tout de même un bon coup d’épaule de temps en temps. Mais voilà, tu es né sur la terre.

FAUST

Et toi tu es né au ciel. Tu possèdes ce que je cherche et tu me le caches à tout jamais.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Va, il y a beau temps que je te connais. Tu n’es jamais mort — et depuis que le monde est monde, tu es là — et moi aussi. Nous avons toujours été camarades ensemble — te souviens-tu ?

FAUST

Que veux-tu dire, Protée aux paroles ondoyantes ? Ai-je vécu déjà aussi misérablement ? Il me semble vraiment bien souvent que je suis vieux et que je te connais. Mais je crois que ce sont mes rêves qui sont vieux et la réalité que je connais.

MÉPHISTOPHÉLÈS

La réalité ! Voilà encore un de ces mots vides que vous ne cesserez pas de prononcer, vous autres hommes ? Est-ce que tu connais autre chose que la réalité ? Est-ce que tes rêves ne sont pas issus du monde de tes sens ? — Fou — triple fou — va donc construire avec des morceaux d’hommes un Inconnu que tu ne peux pas connaître !

FAUST

Je ne peux pas — ce n’est pas là ce que tu m’as promis.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Je ne t’ai pas promis de te mettre hors de toi-même : je t’ai offert toute la vie… Et si tu meurs, épuisé à la tâche…