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KUMARA

Mes peines dans tes yeux humides sont lavées
Et tes phrases d’amour en mon cœur sont gravées.

SUNDÂRI, songeuse.

Le moment de la mort est un sinistre instant
Où le Temps nous bourdonne un appel insistant.
C’est la séparation de ce qu’on peut connaître
Pour l’angoisse inconnue au monde du “renaître”.
Mais succombant ensemble, ensemble nous vivrons
Aux cercles ignorés auxquels nous nous livrons.

KUMARA

Je ne veux pas songer, tout frémissant d’envie,
Aux plaisirs que nous peut garder une autre vie ;
Mais, Sundâri, je t’aime et nous mourons tous deux,
Cachant sous nos baisers la mort au masque hideux.
Nos corps au même instant, enlacés, vont s’abattre,
Nos cœurs au même instant vont s’arrêter de battre,
Et nous ne verrons pas mille spectres hagards
Croisant à l’agonie encor nos deux regards.
S’échappant de ton sein que ma poitrine touche,
Ton soupir — le dernier — passera dans ma bouche.

SUNDARI

Et le dernier soupir est un vagissement.
Nous ne nous perdrons pas dans le mugissement
Ronflant et tempêtant des flammes de la foudre.
Il est un pouvoir bon qui pourra nous absoudre.
Autrefois, un Voyant, vivant dans les forêts,
Loin des fracas du ciel, tumultes abhorrés,
M’a montré ce néant fait de parcelles d’âmes,
Où nous allons entrer par le chemin des flammes.
Ici nous avançons dans un sombre tunnel —
Là-bas nous dormirons d’un sommeil éternel.

KUMARA

Et le réveil sera l’union de nos rêves.