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Quand les Bédouins noirs cavalcadaient par bandes
Et qu’elle chevauchait en fille de brigand,
Portant sous son manteau rayé de larges bandes
Un tromblon évasé près d’un vieux yatagan.

Tandis qu’elle chantait, dans la figure noire
Des esclaves groupés aux portes du sérail
Un trou rouge s’ouvrait, taché de dents d’ivoire
Qui reflétaient la lampe en bleu sur leur émail.
Quand sa chanson mourut peu à peu, la seconde
Dans sa langue reprit le même air à mi-voix
Et, passant son bras blanc dans ses cheveux de blonde,
Parsema d’or les bouts rougis de ses longs doigts.

Elle chantait les rocs dentelés du Caucase,
Découpure de glace et d’azur dans le ciel,
Les abeilles des bois et leurs ailes de gaze
Frémissantes du poids parfumé de leur miel,
Les taillis frissonnants des forêts giboyeuses
Où des chasseurs passaient en bonnets d’astrakan,
Et les jeunes Lesghiens aux moustaches soyeuses
Brunissant leur teint pâle au grand soleil du camp.

Sous les plis alourdis d’une étoffe tissée
De poils blancs de chameaux mêlés de fils d’argent,
Un eunuque montrait sa figure plissée
Et ses sourcils arqués sur un œil négligent.
Comme un long serpent noir à la ligne onduleuse
La troisième sans bruit à terre se coula,
Près du brasier fumant mit sa tête frileuse
Et dans les flots neigeux d’un burnous l’enroula.

Elle parlait du lac à l’eau glauque, où se mire
Le flamant rose et blanc, aux yeux pailletés d’or,
Et que cerclent les vents d’un limpide sourire
Près des tiges de joncs où le courant s’endort,