Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/247

Cette page a été validée par deux contributeurs.


La nuit passe. — On entend au loin l’heure qui sonne
Et le veilleur qui donne
Son signal —
La chandelle s’éteint — on l’entend encor bruire,
Puis on dort, on respire
À souffle égal.

Ballade

Sans cesse je cisèle un vers que j’ai limé
Sous la pâle lueur de la lampe qui dore
D’une auréole en feu le mot déjà rimé
Et lustre son poli du nimbe de l’aurore.
Elle allume au rebord étincelant du tore
De l’encrier couvert de son massif fermoir
La rougeur fugitive et mourante du soir.
La Rime ne veut pas me faire sa risette :
Mais je la poursuivrai dans son coquet boudoir :
“Rien ne sert de gémir — ouvre-moi ta cassette !”

Ses joyaux sont cachés dans un coffret fermé
Dont la serrure à jour défierait tout l’art Maure :
Elle s’envole avec un soupir alarmé.
Quand mon stylet le brise et le perce et le fore,
Puis s’abat frémissante aux rives du Bosphore
En vierge orientale, accroupie au lavoir ;
Et rythmant ses chansons au bruit de son battoir :
Comme un brillant taillé d’une large facette,
Sous un voile son œil scintille pour me voir :
“Rien ne sert de gémir, ouvre-moi ta cassette !”

La Rime a murmuré le son doux, bien-aimé,
Lisette, un triste nom, qui me poursuit encore :
Ah ! si j’avais l’amour que j’ai partout semé