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Je rêve en mon dortoir des lumières sereines (33),
Une éclatante reine en un pompeux manoir,
Mais dans le profond noir s’envolent des phalènes,
Mille flocons de laine en un sombre miroir…
On ne peut pas s’asseoir au fond de ma géhenne…
Et si d’abord ma haine aiguisait son rasoir,
Maintenant, comme un loir — pionçant à pleine haleine
Je dors — ma seule peine est que je ne puis voir.

Et je voudrais avoir des sources, des fontaines,
Marie et Madeleine au limpide lavoir —
Mais dans ce dépotoir où je traîne ma senne,
Pêcheur, ma pêche vaine à nul ne peut échoir ;
Et je rêve un boudoir de velours et d’ébène,
Une femme qui draîne un vin mousseux, le soir.
Je voudrais recevoir de l’or, dans mes mains pleines :
Mais ma plus grande peine est que je ne puis voir.

Mai-Juin 1885.

Sonnet pour lui

Quand tu ris, j’aime à voir tes yeux étinceler,
Tes lèvres se trousser en mignardes risettes,
La pourpre de ta chair, pour mieux me harceler,
Sourire et refléter de moqueuses fossettes.

Et pareil à ces dieux sifflant dans leurs musettes
Que nos vieux joailliers aimaient à bosseler
Sur les parois d’argent des massives cassettes
Et d’un burin d’acier finement ciseler,

Tu ris en entr’ouvrant les deux coins de tes lèvres,
Pour me montrer tes dents avec des mines mièvres,
Et tu plisses ta peau sous de vifs reflets d’or.