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À frapper doucement, à détruire un rocher,
À le faire écrouler à force de caresses ;
Elle y met patience et non pas de paresse,
Par saccade se hisse aux grands rocs acérés,
Attend que dans mille ans les rocs soient lacérés.
L’oubli, c’est identique ; on sentirait à peine
Sa dent si tout à coup ne s’élançait la peine
Par éclats.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .
   .   .   .   .   .   .   . Pas à pas l’oubli gagne sur nous,
Il hait le souvenir, il le mine en dessous.
Le souvenir s’écroule et laisse indifférence.
L’oubli s’écroule aussi quand revient la souffrance.
Le souvenir est là, mais il est plus amer.
L’oubli vous engloutit aussi bien que la mer.

Georges

Ô Dieu, je l’ai perdu, l’ami de mon enfance,
Qui seul avait cet art d’adoucir ma souffrance,
D’épancher son cœur dans mon cœur.
Jamais je n’aurai plus ce grand plaisir intense,
De lui serrer la main, de lui dire : je pense
À toi comme à ma sœur.

Elle était belle, hélas, et bonne autant que belle.
Elle mourut, jadis ; jamais je n’aimais qu’elle,
Et, mon Georges, que toi ;
Mais te voilà parti. Tu montes sur la selle
Du cheval de la mort, qui tout de feu ruisselle.
Je suis derrière, moi !

Tu t’envoles. Pourquoi ? Dieu désira ton âme,
Tu t’envoles là-bas vers le grand ciel de flamme
Où tout est au grand jour.