ses lèvres, mais aussitôt après la posa et se retira à son lit d’où il ne se releva plus.
Le jeudi 9, il était tombé dans la faiblesse d’un moribond et l’aspect cadavérique (facies hippocratica) s’était déjà emparé de lui. Je revins le voir fréquemment pendant toute la journée et y retournant pour la dernière fois vers dix heures du soir, je le trouvai en état d’inconscience : je ne pus lui tirer de signe de reconnaissance et je le laissai aux soins de sa sœur et de son domestique.
Le vendredi 10, j’allai le voir à 6 heures du matin. C’était un jour de tempête, et une épaisse neige était tombée pendant la nuit, et je me souviens qu’une bande de voleurs avait fait effraction dans la cour de Kant afin d’entrer chez son voisin qui était bijoutier. Comme je m’approchais de son lit, je lui dis bonjour. Il me rendit mon salut en disant : “Bonjour”, mais d’une voix si faible et si défaillante qu’elle était à peine articulée. Je me réjouis de le trouver conscient et je lui demandai s’il me reconnaissait : “Oui”, répondit-il, et tendant la main il me toucha doucement la joue. Pendant le reste de la journée, chaque fois que je le vis, il sembla être retombé en état d’inconscience.
Le samedi 11, il était couché les yeux fixes et ternes et selon toute apparence dans une paix parfaite. Je lui demandai encore ce jour-là s’il me reconnaissait. Il ne pouvait parler, mais il tourna sa figure vers moi et me fit signe que je devais l’embrasser. Une profonde émotion me traversa comme je m’inclinais pour baiser ses lèvres pâles, car je savais que, dans cet acte solennel de tendresse, il voulait exprimer sa reconnaissance pour notre longue amitié et signifier son dernier adieu. Je ne l’avais vu