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officiel ne s’élevait pas à plus de 20.000 dollars, était le produit de son travail honorable pendant près de soixante ans et qu’il avait lui-même subi toutes les affres de la pauvreté dans sa jeunesse, quoique ne s’étant jamais endetté vis-à-vis d’aucun homme ; circonstances de son histoire qui, ainsi qu’elles expriment la conscience qu’il devait avoir de la valeur de l’argent, rehaussent infiniment le mérite de sa générosité.

En décembre 1803, il devint incapable de signer son nom. Sa vue s’était abaissée au point qu’à table il ne pouvait trouver sa cuillère sans qu’on la lui donnât, et quand je me trouvais dîner avec lui, je commençais par couper en petits morceaux ce qu’il y avait sur son assiette ; puis je les plaçais dans une cuillère à dessert ; puis enfin je lui conduisais la main jusqu’à la cuillère. Mais son incapacité à signer son nom n’avait pas pour seule cause la cécité. La vérité était que, par impuissance de mémoire, il ne pouvait se souvenir des lettres qui composaient son nom et quand on les lui répétait, il ne pouvait représenter la figure de ces lettres dans son imagination. Vers la fin de novembre j’avais remarqué que cette incapacité s’accentuait rapidement, et j’avais donc obtenu de lui de signer d’avance tous les reçus, etc., dont on aurait besoin à la fin de l’année. Plus tard, à ma prière, et pour éviter toute difficulté, il me donna un pouvoir régulier de signature.

Quoique Kant fût maintenant bien déprimé, il avait parfois des moments de gaieté. Son jour de naissance était toujours pour lui un sujet agréable. Quelques semaines avant sa mort je calculais le temps qui s’écoulerait encore jusqu’à cet anniversaire, et je l’égayais de la perspective des réjouissances qu’on