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et, ajouterai-je, par l’affection vraiment fraternelle qu’elle lui témoigna jusqu’à la fin.

La journée du 8 octobre avait gravement frappé les facultés de Kant, mais ne les avait pas totalement détruites. Pendant de brefs intervalles, les nuages qui s’étaient assemblés sur sa majestueuse intelligence semblaient s’écarter pour la laisser briller comme jadis. Durant ces moments de brève conscience d’esprit, sa bonté coutumière lui revenait, et il exprimait d’une manière bien touchante sa reconnaissance pour les efforts de ceux qui l’entouraient, et le sentiment qu’il avait de leur peine. En ce qui regardait spécialement son domestique, il se montrait fort inquiet qu’on le récompensât par de larges présents, et il me priait instamment de ne point montrer de parcimonie. Il faut dire que Kant n’était rien moins que princier dans son usage de l’argent et il n’y avait point d’occasion où il exprimât plus fortement son sentiment de mépris que lorsqu’il appréciait des actions d’avarice ou de basse cupidité. Ceux qui ne l’avaient vu que dans la rue s’imaginaient qu’il n’était pas généreux, car il refusait fermement et par principe toute aumône à de communs mendiants. Mais, d’autre part, il était très généreux à l’égard des institutions charitables publiques ; il avait assisté ses parents pauvres de façon beaucoup plus large qu’on n’aurait pu raisonnablement le prévoir et on vit maintenant qu’il avait beaucoup d’autres pensionnaires dépendant de ses libéralités, fait qui nous était entièrement inconnu, jusqu’à ce que la faiblesse de sa vue et d’autres infirmités m’obligèrent au devoir de payer ces pensions moi-même. Il faut se souvenir aussi que la fortune entière de Kant, qui en dehors de son traitement