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fendre de trahir combien son désir était violent.

Le 13 octobre, il reprit ses dîners habituels et on le considéra comme convalescent, mais en réalité, il ne retrouva guère le calme d’esprit qu’il avait conservé jusqu’à cette attaque. Il avait toujours aimé autrefois à prolonger son repas, le seul qu’il prît, ou, ainsi qu’il s’exprimait selon la phrase classique, cenam ducere, mais il devint difficile maintenant de le presser assez à son gré. Après le dîner qui se terminait à environ deux heures, il se mettait aussitôt au lit et s’assoupissait par intervalles, et ces sommes étaient régulièrement interrompus par des hallucinations ou des rêves terribles. À sept heures du soir arrivait une période de grande détresse qui durait jusqu’à cinq ou six heures du matin, quelquefois plus tard ; et il ne cessait pendant toute la nuit alternativement de se promener et de s’étendre, parfois calme, mais plus souvent très agité.

Il devenait nécessaire maintenant de prendre une personne pour le veiller, parce que son domestique était épuisé par le service de la journée. Aucune ne semblait si propre à cet office que sa sœur ; d’abord elle avait longtemps reçu de lui une pension fort généreuse et de plus, sa plus proche parente, elle pourrait porter le meilleur témoignage de ce que son illustre frère n’aurait manqué à ses dernières heures d’aucun des soins et des attentions qu’exigeait sa situation. On s’adressa donc à elle et elle entreprit de le veiller alternativement avec son valet de chambre. Elle prit ses repas à part et on fit une large addition à sa rente. On vit bientôt que c’était une femme tranquille, d’esprit conciliant, qui ne soulevait point de discussion parmi les domestiques, et elle acquit vite l’estime de son frère par sa modestie et sa réserve,