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la lumière, s’il voyait seulement un rayon de lune perçant à travers une crevasse des volets, il en devenait malheureux. En fait, les fenêtres de sa chambre à coucher étaient barricadées nuit et jour ; mais maintenant l’obscurité était pour lui une terreur et le silence une oppression. Il ajouta donc à sa lampe une pendule à répétition qu’il fit placer dans sa chambre. D’abord, le battement en fut trop fort, mais on parvint à emmoufler le martelet et dès lors le tic-tac et les sonneries lui devinrent des sons familiers.

Vers ce temps, au printemps 1803, son appétit commença à diminuer, ce qui ne me parut pas un bon signe. Bien des personnes prétendirent que Kant avait l’habitude de trop manger. Je ne saurais toutefois souscrire à cette opinion, car il ne mangeait qu’une fois par jour et ne buvait pas de bière. Il était même ennemi très déterminé de cette boisson (je veux dire la bière brune forte). Si jamais un homme mourait tôt, Kant disait : “Il devait probablement boire de la bière” ou si un autre était indisposé, on pouvait s’attendre à ce qu’il demandât : “Mais boit-il de la bière ?” Et selon la réponse donnée, il formulait son pronostic du malade. Il ne cessa de maintenir en somme que la bière forte est un poison lent. On sait que Voltaire répondit à un jeune médecin qui accusait le café d’être aussi un poison lent : “Vous avez bien raison, mon ami : lent et horriblement lent, car j’en bois depuis soixante-dix ans, et il ne m’a pas encore tué.” Mais c’est une réponse que Kant n’aurait point permise pour la bière.

Le 22 avril 1803, son jour de naissance, le dernier qu’il vit, fut célébré par une assemblée plé-