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Kant de prendre l’air. Il y avait longtemps qu’il n’était sorti. Il n’y avait point à songer à le faire marcher, mais je pensai que peut-être le mouvement de la voiture et l’air pourraient avoir une chance de le ranimer. Je ne me fiais guère au pouvoir des spectacles et des sons du printemps, car depuis longtemps il avait cessé d’en être touché.

De tous les changements que le printemps apporte, il n’y en avait plus qu’un maintenant qui intéressait Kant. Il languissait après avec une avidité et une intensité d’attente qu’il était presque douloureux de contempler : c’était le retour d’un petit oiseau (moineau peut-être ou rouge-gorge ?) qui chantait dans son jardin et devant sa fenêtre. Cet oiseau, soit le même, soit son successeur dans la suite des générations, avait chanté pendant des années dans la même situation. Et Kant devenait inquiet quand le temps froid avait duré plus longtemps qu’à l’ordinaire et retardait son retour. Comme Lord Bacon en effet, il avait un amour enfantin pour tous les oiseaux ; en particulier, il s’appliquait à encourager des moineaux à faire leur nid au-dessus des fenêtres de son cabinet de travail. Quand ceci survenait, et c’était fréquent à cause du profond silence qui régnait dans cette pièce, il guettait leur travail avec le délice et la tendresse que d’autres donnent à un intérêt humain. Pour en revenir au point dont je parlais, Kant montra beaucoup de répugnance d’abord à adopter ma proposition de promenade : “Je ne pourrai pas me tenir dans la voiture, dit-il, et je m’affaisserai comme un tas de vieux chiffons.” Mais je persistai en insistant doucement et le poussai à essayer en lui promettant que nous reviendrions de suite, s’il trouvait