Les infirmités de la vieillesse commencèrent maintenant à affecter Kant et se manifestèrent sous bien des formes. Quoique la mémoire de Kant fût prodigieuse pour tout ce qui avait une portée intellectuelle, il avait depuis sa jeunesse souffert d’une extraordinaire faiblesse de cette faculté en ce qui concernait les affaires communes de la vie de tous les jours. Il existe de ce fait de remarquables exemples enregistrés depuis la période de ses années d’enfance. Et maintenant que sa seconde enfance allait commencer, cette infirmité s’accrut en lui très sensiblement. Un des premiers signes en fut qu’il se mit à répéter les mêmes histoires plusieurs fois dans la même journée. La déchéance de sa mémoire fut si palpable même qu’elle ne put échapper à son attention ; et afin d’y remédier et de se garantir contre toute crainte d’infliger de l’ennui à ses invités, il entreprit d’écrire un Syllabus ou liste des sujets de conversation pour chaque jour, sur des cartes de visite, des enveloppes de lettres, des morceaux de papier variés. Mais ces Memoranda s’accumulaient si rapidement, se perdaient si aisément ou étaient si difficiles à retrouver au moment opportun, que je le persuadai de les remplacer par un carnet qui existe encore et où on retrouve de touchants souvenirs sur la conscience qu’il avait de sa propre faiblesse. Comme il arrive souvent d’ailleurs en de tels cas, il conservait une mémoire parfaite des événements lointains de sa vie et pouvait réciter, à simple réquisition, de très longs passages de poëmes allemands ou latins, spécialement de l’Énéide, au lieu que des paroles qu’on venait de proférer il n’y avait qu’une seconde, fuyaient de son souvenir. Le passé se dressait avec la netteté et la vivacité d’une exis-