Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/181

Cette page a été validée par deux contributeurs.

un flacon ou un cruchon de ce breuvage à la proclamation de “Midi trois quarts”, Kant l’emportait en toute hâte à la salle à manger, en versait sa suffisance, laissait le verre tout prêt, recouvert toutefois d’un papier pour prévenir l’évaporation, puis retournait à son cabinet où il attendait l’arrivée de ses invités que jusqu’à la dernière période de sa vie il ne reçut jamais autrement qu’en costume d’apparat.

Nous voici donc revenus au dîner et le lecteur a maintenant un tableau exact de la journée de Kant, selon la succession habituelle de ses changements. Pour lui, la monotonie de cette succession n’était point fatigante ; et probablement elle contribua, avec l’uniformité de son régime et d’autres habitudes de la même régularité, à prolonger sa vie. À ce point de vue d’ailleurs, il en était venu à regarder sa santé et le grand âge auquel il était parvenu comme étant en bonne partie le produit de ses propres efforts. Il se comparait souvent à un gymnaste qui aurait continué pendant près de quatre-vingts ans à conserver l’équilibre sur la corde tendue de la vie sans jamais pencher ni à droite ni à gauche. Et certes, en dépit de toutes les maladies auxquelles l’avaient exposé les tendances de sa constitution, il gardait encore triomphalement sa position dans la vie.

Cette attention anxieuse pour sa santé explique le grand intérêt qu’il attachait à toutes les nouvelles découvertes en médecine, ou aux nouvelles théories pour rendre compte des anciennes. Il considérait comme une œuvre aussi importante sur ces deux points, et de la plus haute valeur, la théorie du médecin écossais Brown ou, selon le nom latin de son auteur, la théorie Brunonienne. À peine Weikard