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était toujours de coton, en automne de laine. À l’entrée de l’hiver, il se servait des deux ; et contre les froids très rudes il se protégeait par une couverture d’édredon, dont la partie qui lui couvrait les épaules n’était pas bourrée de plumes mais garnie ou plutôt ouatée de couches serrées de laine. Une longue pratique lui avait enseigné une manière fort habile de se nicher et de s’enrouler dans les couvertures. D’abord il s’asseyait sur le bord du lit, puis d’un mouvement agile il s’élançait obliquement à sa place ; puis il tirait un coin des couvertures sous son épaule gauche et, la faisant passer à travers le dos, l’amenait jusque sous son épaule droite ; quatrièmement, par un particulier tour d’adresse, il opérait sur l’autre coin de la même manière, et parvenait finalement à l’enrouler autour de toute sa personne. Ainsi, bandé comme une momie, ou ainsi que je le lui disais souvent, enroulé comme le ver à soie dans son cocon, il attendait l’approche du sommeil, qui d’ordinaire survenait immédiatement.

Car la santé de Kant était exquise : ce n’était point seulement la santé négative ou l’absence de douleur, d’irritation ou de malaise, qui bien que n’étant point douloureux sont parfois pires à supporter que la douleur ; mais c’était un état de sensation positive de plaisir et une possession consciente de toutes ses activités vitales. Voilà pourquoi s’étant empaqueté pour la nuit en la manière que j’ai décrite, il s’écriait souvent tout seul, comme il nous le racontait à dîner : “Est-il possible de concevoir un être humain qui jouisse d’une santé plus parfaite que moi !” Telle était la pureté de sa vie et son heureuse condition, qu’aucune passion troublante ne s’élevait jamais pour l’exciter, aucun souci pour