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sur lequel il parlait toujours avec plaisir quoique, suivant sa modestie habituelle, il ne mentionnât jamais la sagacité qu’il avait montrée en établissant, bien des années avant ces découvertes, leur probabilité a priori.

Ce n’était pas seulement comme compagnon que Kant brillait, mais aussi comme un hôte très courtois et généreux qui n’éprouvait pas de plus grand plaisir que de voir ses convives gais et à l’aise, sortir l’esprit rasséréné des plaisirs mêlés, intellectuels et sensuels, de ces banquets platoniques. C’était peut-être, pour entretenir cette aimable cordialité qu’il se montrait artiste dans la composition de ses dîners ; il y avait deux règles qu’il y observait manifestement et auxquelles je ne le vis jamais manquer : la première était que la société fût mélangée, ceci pour donner suffisante variété à la conversation, et en conséquence ses invités présentaient toute la variété que pouvait offrir le monde de Kœnigsberg. Tous les genres de vie étaient représentés, fonctionnaires, professeurs, médecins, ecclésiastiques et négociants éclairés. La seconde règle était d’avoir une juste proportion de jeunes gens, quelquefois très jeunes, choisis parmi les étudiants de l’Université afin de donner quelque mouvement de gaieté et de juvénilité à la causerie ; à quoi s’ajoutait, comme j’ai raison de le croire, le motif que de cette façon il parvenait à se distraire de la tristesse qui quelquefois lui envahissait l’esprit lorsqu’il songeait à la mort précoce de quelques jeunes amis qu’il aimait.

Et ceci m’amène à citer un trait singulier dans la façon dont Kant exprimait sa sympathie pour ses amis lorsqu’ils étaient malades. Tant que le danger