les semaines qui suivraient, et la liberté de choisir mon jour. Je trouvai difficile d’abord de m’expliquer la distinction avec laquelle Kant me traitait, et je conjecturai que quelque ami obligeant lui avait peut-être parlé de moi plus avantageusement qu’il ne convenait à mes humbles prétentions. Mais une expérience plus intime m’a convaincu qu’il avait l’habitude de se tenir constamment au courant de ce qui arrivait à ses anciens disciples et qu’il se réjouissait toujours sincèrement de leur réussite, si bien qu’il parut que j’avais eu tort de croire qu’il m’avait oublié.
Ce renouveau de mon intimité avec Kant coïncida presque exactement avec une époque qui amena un complet changement dans toutes ses dispositions domestiques. Jusque-là, il avait eu coutume de dîner à table d’hôte, mais il commença dès lors à vivre chez lui et chaque jour invita quelques amis à dîner, de façon à ce que la société, lui-même compris, fût de trois au moins et de neuf au plus, et dans les petites solennités de cinq à huit. C’était, comme on le voit, un adepte ponctuel de la règle de Lord Chesterfield, à savoir qu’une réunion de convives, l’hôte compris, ne doit pas être inférieure au nombre des Grâces, ni supérieur à celui des Muses. Dans toute l’économie du ménage de Kant, et en particulier de ses dîners, il y avait quelque chose de spécial et de plaisamment opposé aux conventions de la société, non point toutefois qu’il y eût aucun manque de decorum, comme il arrive parfois dans les maisons où il n’y a point de dames pour imposer un ton à la conversation. La routine qui, en aucune circonstance, ne variait ni ne se relâchait était celle-ci : à peine le dîner était-il prêt que