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Penser que vous et moi nous ne voyions, ni ne sentions, ni ne pensions, ni ne jouions notre rôle !

Penser que nous sommes ici maintenant, et que nous jouons notre rôle !

2

Pas un jour ne passe — ni une minute, ni une seconde, sans un accouchement.

Pas un jour ne passe — ni une minute, ni une seconde, sans un cadavre.

Les nuits mornes s’en vont, et les jours mornes aussi,

La meurtrissure d’être tant couché au lit s’en va,

Le médecin, après l’avoir longtemps remis, donne pour réponse le regard silencieux et terrible.

Les enfants viennent pressés et sanglotants, et on fait chercher les frères et sœurs.

Les potions restent, sans qu’on les prenne, sur l’étagère (l’odeur de camphre depuis longtemps a envahi les chambres).

La main fidèle du vivant n’abandonne pas la main du mourant.

Les lèvres palpitantes pressent légèrement le front du mourant.

Le souffle cesse, et le pouls du cœur cesse.

Le cadavre s’étend et les vivants le regardent,

Il est palpable comme les vivants sont palpables.

Les vivants regardent le cadavre avec la vue de leurs yeux,

Mais sans la vue des yeux un d’une vie différente s’attarde, et regarde curieusement le cadavre.

3

Penser que les rivières couleront, que la neige