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Dans une étude aussi sommaire, il serait difficile d’espérer avoir tout dit. Beaucoup de points très obscurs dans les tragédies d’Eschyle demanderaient à être éclaircis. Les questions de métrique n’ont pu être abordées ici. Ce qu’il importait de montrer, c’est que le point de vue auquel on juge généralement Eschyle n’est pas le vrai. Un des derniers traducteurs, M. Bouillet, appliquait au poëte une citation de M. Taine :

“ …Dans un tel état, l’ordre régulier des mots et des idées est à chaque pas brisé. La suite des pensées dans le visionnaire n’est pas la même que dans le raisonneur tranquille. Une couleur en attire une autre, d’un son il passe à un autre son… Pêle-mêle les idées s’enchevêtrent. Tout d’un coup, par un souvenir brusque, le poëte fait irruption dans la pensée qu’il prononce, en reprenant la pensée qu’il a quittée… La passion mugit ici comme une bête énorme, et puis c’est tout ; elle surgit et sursaute en petits vers abrupts”.

L’exposition rationnelle du système dramatique d’Eschyle prouve que ce n’est pas ainsi qu’il faut le comprendre. Rien chez lui n’est inconscient ; aucun mot, aucune scène qui n’ait vu sa place marquée dans la construction générale ; les cris de la passion sont réglés et rythmés.

Plus tard Sophocle et Euripide modifieront le drame. Chez Sophocle la symétrie première reste encore assez développée ; Œdipe roi participe des deux systèmes. Mais il y a désormais une action dramatique. L’action se meut par rapport à Œdipe ; tandis que dans les tragédies d’Eschyle le premier pas de l’action est sa conclusion. Philoctète marque un pas de plus ; le héros ne reste plus muet ; il crie,