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l’art qu’Eschyle apporte dans les crises les plus aiguës du drame (24).

Enfin dans les Suppliantes, il y a équilibre entre la poursuite des filles de Danaos par les fils d’Aegyptos et la protection que peut leur accorder Argos. La catastrophe est l’hospitalité que leur accorde Pelasgos (25).

La recherche d’une symétrie tragique est tellement visible chez Eschyle, que les anciens eux-mêmes l’ont critiquée. Dans les Grenouilles, Euripide reproche à Eschyle ce qu’on pourrait appeler un procédé : l’évolution du chœur ou de personnages secondaires devant le personnage principal qui restait muet. Les exemples choisis par Aristophane sont Achille et Niobé ; de ces deux tragédies nous n’avons rien conservé. Mais le Prométhée enchaîné nous donne à la fois un exemple et une explication de cet artifice dramatique. Le contraste entre la puissance de Zeus et l’orgueil insoumis de Prométhée est d’autant plus violent que Prométhée reste muet pendant les quatre-vingt-sept premiers vers. Ce qu’Euripide accuse d’être un procédé pour attirer l’intérêt serait bien plutôt le résultat d’une ordonnance symétrique et d’un système dramatique.

La langue d’Eschyle est si particulière qu’on se refusait au xvie siècle à le lire, parce qu’il était plein de syrianismes (plenus syranismis). Plus tard on y a vu des alliances de mots incompréhensibles, et on a soutenu qu’elles étaient le résultat d’une sorte de vision mystique. Si on étudie le style d’Eschyle sans idées préconçues, on s’aperçoit rapidement que ses images sont d’une excessive recherche poussée au plus haut point de l’art, absolument analogues aux comparaisons de Victor Hugo (26).