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venaient pas guetter à travers les haies les formes blanches à la nuit tombante. Je n’arrivai pas dans une hôtellerie où toutes les chambres étaient retenues. L’aubergiste ne se gratta pas longtemps la tête, une chandelle à la main et ne finit pas par me proposer en hésitant de me dresser un lit dans la salle basse du donjon. Il n’ajouta pas d’une mine effarée que de tous les voyageurs qui y avaient couché aucun n’était revenu pour raconter sa fin terrible. Il ne me parla pas des bruits diaboliques qu’on entendait la nuit dans le vieux manoir. Je n’éprouvai pas un sentiment intime de bravoure qui me poussait à tenter l’aventure. Et je n’eus pas l’idée ingénieuse de me munir d’une paire de flambeaux et d’un pistolet à pierre ; je ne pris pas non plus la ferme résolution de veiller jusqu’à minuit en lisant un volume dépareillé de Swedenborg ; et je ne sentis pas vers minuit moins trois un sommeil de plomb s’abattre sur mes paupières.

Non, rien ne survint de ce qui arrive toujours dans ces terrifiantes histoires de maisons hantées. Je débarquai du chemin de fer à l’Hôtel des Trois Pigeons ; et le maître d’hôtel me donna à manger. J’avais très bon appétit, et je dévorai trois tranches de rôti, du poisson en sauce, un poulet sauté et une excellente salade ; je bus une bouteille de bordeaux. Après avoir pris mon café, je fis une partie de billard avec un couple de commis-voyageurs qui m’avaient tout de suite tapé sur le ventre. Je demandai au patron s’il n’y avait pas de punaises dans mon lit ; la maîtresse d’hôtel se tordit les mains en m’assurant que tout avait été recrépi trois semaines avant.

Là-dessus je pris ma bougie et je montai dans ma