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dévorer de la chair humaine, entendre craquer sous les dents de sauvages féroces les stupides lecteurs qui me laissaient mourir de faim, ce serait au moins une atroce volupté.

“Lorsque j’arrivai devant l’île d’Oahu et que j’entrai dans la rade d’Honululu, le vent de la délivrance souffla dans mon âme. Et lorsque je mis le pied sur la terre des îles Sandwich, ma joie déborda quand je pensai que j’allais prendre part à des festins d’anthropophages.

Je vis à mon approche que les cocotiers portaient d’énormes grappes qui se mouvaient. J’étais étonné de ces fruits extraordinaires. Mais lorsque j’arrivai tout près, je vis que c’étaient des créatures humaines, qui s’étaient accrochées là. Leurs cris remplissaient l’air. Je fus entouré par ces êtres enthousiasmés. Ils avaient tous quelque chose qui ne m’était pas inconnu. Une jeune dame qui ressemblait de dos à un dromadaire parce qu’elle portait une tournure entre les épaules et une autre au bas des reins se précipita sur moi et m’entoura de ses bras :

“Laisse-moi, oh laisse-moi te contempler ! s’écria-t-elle, quel front piqué par les soucis !

Une vieille la repoussa ; elle traînait une robe Directoire fendue sur la cuisse ; elle me dévorait les mains de baisers. Du coup la vérité jaillit dans mon cerveau comme un éclair : cette robe, c’était moi qui l’avait recommandée. L’article avait paru dans la Bretelle à Ressorts familiale. Quelle vilenie avais-je commise ! J’aurais toujours maintenant devant les yeux cette cuisse grivelée.

“Alors s’étendit sous mes pieds un océan d’articles de modes, de bolivars articulés, d’oiseaux mécaniques montés sur chapeaux, de cravates automa-