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ricanements et des chatouillements silencieux. Les robes blanches s’étalaient, filant et reparaissant, se repliant et se déployant dans les courses folles ; les souffles haletaient, les poitrines brûlaient — et c’était si bon. Une atmosphère chaude montait de la ville endormie vers la colline ; l’air bourdonnait et étouffait.

À cette heure, les loupae étaient rentrées — elles devaient dormir, vautrées, ou sangloter dans un galetas. Mais là haut, ces dames s’amusaient. Les eunuques attendaient, assis sur les dalles, accroupis, les jambes croisées, et tourmentant leurs mules du bout de leur canne à pomme d’argent. Leurs robes couleur de safran se détachaient sur les dalles grises et une odeur de cinnamome se dégageait d’eux. Et d’autres, la tête penchée vers les genoux, rêvaient de la brûlante Syrie ou de l’Hibernie aux mines d’argent.

Comme ils étaient venus de loin ! À quinze ans, ils vaguaient encore dans les montagnes neigeuses, avec les chèvres et les boucs. Ils buvaient du lait — ils vivaient dans l’air vif, dans le soleil pur et dans le ciel bleu. Là haut, les rayons tapaient droit sur la tête. On s’étendait sous quelque vieux rocher ombreux et, le museau du bon chien entre les jambes, on regardait dans ses yeux longuement, en rêvant. Et il vous léchait les mains, il vous donnait un regard fidèle et il pensait avec vous.

Et le soir, quand les ombres s’allongeaient, on descendait avec les chèvres le long du petit sentier ; les chauves-souris s’envolaient des buissons et les oiseaux réveillés piaillaient. Sous les herbes on entendait les frôlements du serpent qui allait retrouver son trou ; le grillon chantait dans les dernières flammes