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LES SALONS. LA VIE DE PARIS

sans des difficultés très grandes, qui, grâce à l’esprit et au cœur délicieux de Gaston de Caillavet, et de sa femme, se passa le plus simplement et le plus heureusement du monde. À partir d’un certain moment, Robert eut un collaborateur. Un collaborateur ! Mais vraiment quel besoin pouvait-il avoir d’un collaborateur, lui son petit-fils, lui qui avait plus de talent à lui seul que tous les écrivains qui avaient jamais paru sur la terre ? Du reste, cela n’avait pas d’importance ; il était bien sûr que dans les œuvres écrites en collaboration, tout ce qui serait bien serait de Robert, et que si, par hasard, quelque chose était moins bien, ce serait de l’autre, de l’audacieux… Eh bien ! rien ne fut « moins bien » et pourtant elle déclara que tout n’était pas de Robert. Je n’irai pas jusqu’à dire que dans les triomphes incessants qui ont marqué cette collaboration, elle estimait que toute la gloire devait revenir à Caillavet, mais il aurait été le premier à ne pas le souffrir. Et dans l’harmonieuse réussite, elle fit la part de dons différents qui savaient admirablement s’unir. C’est qu’elle était avant tout merveilleusement intelligente et que c’est encore ce qui rend le plus juste. C’est même sans doute pour cela que l’intelligence, qui est une si grande source de maux, nous apparaît tout de même comme si bienfaisante et si noble : c’est que nous sentons bien qu’il n’y a qu’elle qui sache honorer et servir la Justice. « Ce sont deux puissants dieux. »

Elle ne quittait pas plus son lit ou sa chambre que Joubert, que Descartes, que d’autres personnes encore qui croient nécessaires à leur santé de rester beaucoup couchées sans avoir pour cela la délicatesse d’esprit de l’un ni la puissance d’esprit de l’autre.