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LE SALON DE LA COMTESSE POTOCKA

Il semble fort souvent que les romanciers aient peint, par anticipation, avec une sorte d’exactitude prophétique jusque dans les détails, une société et même des personnages qui ne devaient exister que fort longtemps après eux. Pour ma part, je n’ai jamais pu lire les Secrets de la princesse de Cadignan, où nous voyons que la princesse, « menant maintenant une vie fort simple, habitait à deux pas de l’hôtel de son mari qu’aucune fortune ne pouvait acheter, un rez-de-chaussée où elle jouissait d’un joli petit jardin plein d’arbustes et dont le gazon toujours vert égayait sa retraite » ; — je n’ai jamais pu arriver dans la Chartreuse de Parme au chapitre où nous voyons que, du jour où la comtesse Pietranera quitta son mari, « tous les équipages de la haute société n’en vinrent pas moins stationner tout l’après-midi devant la maison où elle avait pris un appartement », — sans penser que Balzac et Stendhal avaient « en vertu d’un décret nominatif » prévu et prédit l’existence de la comtesse